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Malgré les récentes lois relatives à la prévention des conflits d’intérêts1, l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, inchangé depuis la création du code en 1996, dispose que « sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ». De la qualification d’ « élu intéressé » découlent deux risques : d’une part, l’annulation d’une délibération à laquelle a participé l’élu, qui pèsera sur la collectivité (I.) ; d’autre part, l’engagement de la responsabilité pénale de l’élu (II.). Si les situations de cumul d’intérêts des conseillers sont légion dans les communes rurales peu habitées, des réflexes peuvent être adoptés pour prévenir les conflits d’intérêt et limiter leurs conséquences sur le plan juridique.
La jurisprudence administrative recourt d’abord au critère de « l’intérêt personnel » que l’élu peut détenir en propre ou par personne interposée. La présence d’un « intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune » (CE, 16/12/94, n° 145370) est ici recherchée, au terme d’une analyse in concreto (CE, 30/12/02, n° 229099).
Le juge considère par exemple que n’est pas « intéressé à l’affaire » le conseiller municipal qui bénéficie d'une indemnité en raison de la vente de parcelles communales (CE, 1/07/19, n° 410714), ni celui dont la famille bénéficiera de l’implantation d’un projet éolien sur lequel il a été amené à donner un avis (CAA Nancy, 26/01/21, n° 20NC00316, pt. 19 – en l’occurrence, deux des conseillers municipaux présents au vote étaient respectivement le fils et le neveu du propriétaire de la parcelle d’implantation du parc).
De même, le seul vote d’un élu propriétaire de parcelles destinées à l’élargissement des chemins d’accès aux éoliennes lors de la délibération sur l’opportunité du projet ne suffit pas à retenir la qualification d’« élu intéressé » (CAA Nancy, 26/01/21, préc., pt. 6). Le conseiller doit également, en effet, avoir eu une influence sur le sens de la décision.
Le second critère dégagé par le juge procède de l’influence exercée par l’élu sur la délibération ou de sa « participation active » à celle-ci (CE, 12/10/16, n° 387308). La preuve de cette influence de l’élu sur la délibération en vue de prendre en compte son intérêt personnel doit être rapportée pour entraîner l’annulation de la délibération.
Ainsi, la circonstance que deux élus, gérants du groupement foncier propriétaire du terrain d’assiette d’un projet éolien, aient pris part à la délibération précédant l’avis favorable du maire sur le projet n’entache pas d’illégalité la procédure de délivrance de l’autorisation, dès lors qu’aucune influence sur le sens de la délibération ou sur l’avis du maire n’a été démontrée (CAA Marseille, 13/11/15, n° 14MA00594).
L’appréciation par les juges de l’influence ne se limite pas au seul moment de la délibération (CE, 9/07/03, n°248344). Cette influence peut être caractérisée si un élu a activement participé aux réunions et travaux préparatoires à l’élaboration d’un document d’urbanisme, même il s’est abstenu de prendre part aux débats lors de l’approbation (CE, 21/11/12, n° 334726 : annulation, pour ce motif, de la délibération approuvant une carte communale).
Si la délibération dont le sens a été influencé par l’élu intéressé peut éviter l’annulation (notamment si elle n’a pas été attaquée), l’élu risque toutefois de voir sa responsabilité pénale engagée devant le juge répressif.
Exercer une influence dans un but strictement personnel ou pour une tierce personne est en effet susceptible de constituer une infraction pénale (concussion, corruption et trafic d’influence, délit de favoritisme, prise illégale d’intérêts, etc.)2 dont la prescription intervient au bout de six ans à compter du dernier agissement3.
Dès lors que la caractérisation d’une infraction pénale suppose un élément matériel (les faits) et un élément intentionnel (la volonté d’avoir commis ces faits), des preuves de l’avantage retiré par l’élu ou la tierce personne doivent être rapportées.
Ainsi, la simple « supposition » d’un accord verbal entre un élu et une société qui rachète des terrains lui appartenant n’est pas de nature à prouver une prise illégale d’intérêts (Crim., 19/03/08, n° 07-84.288).
La prise illégale d’intérêts est l’infraction la plus susceptible d’être retenue dès lors que l’élément matériel peut concorder avec les agissements de l’élu « intéressé à l’affaire » : par exemple, la révision d’un document d’urbanisme en vue de favoriser son foncier ou l’accord relatif au versement de subventions vers une association dont il est membre actif (voire l’émission d’un seul avis sur ces subventions : Crim., 09/02/11 n° 10-82988).
L’intérêt peut être pécuniaire, moral, direct ou indirect (Crim., 22/10/08, n° 08-82.068). De plus, non seulement la recherche d’un gain ou d’un profit personnel est indifférente (Crim., 21/06/00, n° 99-86.871), mais l’intérêt de l’auteur de l’infraction peut ne pas être en contradiction avec l’intérêt communal (Crim., 19/03/08, préc.).
Enfin, l’élément intentionnel est aisément retenu par le juge pénal qui exige seulement un dol général, caractérisé par la commission de l’infraction en toute conscience (Crim., 22/10/08, préc. : des élus ont été déclarés coupables pour avoir participé à une délibération attribuant des subventions à une association qu’ils présidaient).
1 Lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique.
2 Art. 432-10 et s. du code pénal.
3 Art. 8 du code de procédure pénale.
4 Caractérisé indépendamment de sa finalité, par opposition au dol spécial pour lequel une finalité spéciale est recherchée.
Lorsque les délibérations sont des avis préalables à la prise d’une décision préfectorale (comme en matière d’EnR), un second filtre se met en place :
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Malgré les récentes lois relatives à la prévention des conflits d’intérêts1, l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, inchangé depuis la création du code en 1996, dispose que « sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ». De la qualification d’ « élu intéressé » découlent deux risques : d’une part, l’annulation d’une délibération à laquelle a participé l’élu, qui pèsera sur la collectivité (I.) ; d’autre part, l’engagement de la responsabilité pénale de l’élu (II.). Si les situations de cumul d’intérêts des conseillers sont légion dans les communes rurales peu habitées, des réflexes peuvent être adoptés pour prévenir les conflits d’intérêt et limiter leurs conséquences sur le plan juridique.
La jurisprudence administrative recourt d’abord au critère de « l’intérêt personnel » que l’élu peut détenir en propre ou par personne interposée. La présence d’un « intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune » (CE, 16/12/94, n° 145370) est ici recherchée, au terme d’une analyse in concreto (CE, 30/12/02, n° 229099).
Le juge considère par exemple que n’est pas « intéressé à l’affaire » le conseiller municipal qui bénéficie d'une indemnité en raison de la vente de parcelles communales (CE, 1/07/19, n° 410714), ni celui dont la famille bénéficiera de l’implantation d’un projet éolien sur lequel il a été amené à donner un avis (CAA Nancy, 26/01/21, n° 20NC00316, pt. 19 – en l’occurrence, deux des conseillers municipaux présents au vote étaient respectivement le fils et le neveu du propriétaire de la parcelle d’implantation du parc).
De même, le seul vote d’un élu propriétaire de parcelles destinées à l’élargissement des chemins d’accès aux éoliennes lors de la délibération sur l’opportunité du projet ne suffit pas à retenir la qualification d’« élu intéressé » (CAA Nancy, 26/01/21, préc., pt. 6). Le conseiller doit également, en effet, avoir eu une influence sur le sens de la décision.
Le second critère dégagé par le juge procède de l’influence exercée par l’élu sur la délibération ou de sa « participation active » à celle-ci (CE, 12/10/16, n° 387308). La preuve de cette influence de l’élu sur la délibération en vue de prendre en compte son intérêt personnel doit être rapportée pour entraîner l’annulation de la délibération.
Ainsi, la circonstance que deux élus, gérants du groupement foncier propriétaire du terrain d’assiette d’un projet éolien, aient pris part à la délibération précédant l’avis favorable du maire sur le projet n’entache pas d’illégalité la procédure de délivrance de l’autorisation, dès lors qu’aucune influence sur le sens de la délibération ou sur l’avis du maire n’a été démontrée (CAA Marseille, 13/11/15, n° 14MA00594).
L’appréciation par les juges de l’influence ne se limite pas au seul moment de la délibération (CE, 9/07/03, n°248344). Cette influence peut être caractérisée si un élu a activement participé aux réunions et travaux préparatoires à l’élaboration d’un document d’urbanisme, même il s’est abstenu de prendre part aux débats lors de l’approbation (CE, 21/11/12, n° 334726 : annulation, pour ce motif, de la délibération approuvant une carte communale).
Si la délibération dont le sens a été influencé par l’élu intéressé peut éviter l’annulation (notamment si elle n’a pas été attaquée), l’élu risque toutefois de voir sa responsabilité pénale engagée devant le juge répressif.
Exercer une influence dans un but strictement personnel ou pour une tierce personne est en effet susceptible de constituer une infraction pénale (concussion, corruption et trafic d’influence, délit de favoritisme, prise illégale d’intérêts, etc.)2 dont la prescription intervient au bout de six ans à compter du dernier agissement3.
Dès lors que la caractérisation d’une infraction pénale suppose un élément matériel (les faits) et un élément intentionnel (la volonté d’avoir commis ces faits), des preuves de l’avantage retiré par l’élu ou la tierce personne doivent être rapportées.
Ainsi, la simple « supposition » d’un accord verbal entre un élu et une société qui rachète des terrains lui appartenant n’est pas de nature à prouver une prise illégale d’intérêts (Crim., 19/03/08, n° 07-84.288).
La prise illégale d’intérêts est l’infraction la plus susceptible d’être retenue dès lors que l’élément matériel peut concorder avec les agissements de l’élu « intéressé à l’affaire » : par exemple, la révision d’un document d’urbanisme en vue de favoriser son foncier ou l’accord relatif au versement de subventions vers une association dont il est membre actif (voire l’émission d’un seul avis sur ces subventions : Crim., 09/02/11 n° 10-82988).
L’intérêt peut être pécuniaire, moral, direct ou indirect (Crim., 22/10/08, n° 08-82.068). De plus, non seulement la recherche d’un gain ou d’un profit personnel est indifférente (Crim., 21/06/00, n° 99-86.871), mais l’intérêt de l’auteur de l’infraction peut ne pas être en contradiction avec l’intérêt communal (Crim., 19/03/08, préc.).
Enfin, l’élément intentionnel est aisément retenu par le juge pénal qui exige seulement un dol général, caractérisé par la commission de l’infraction en toute conscience (Crim., 22/10/08, préc. : des élus ont été déclarés coupables pour avoir participé à une délibération attribuant des subventions à une association qu’ils présidaient).
1 Lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique.
2 Art. 432-10 et s. du code pénal.
3 Art. 8 du code de procédure pénale.
4 Caractérisé indépendamment de sa finalité, par opposition au dol spécial pour lequel une finalité spéciale est recherchée.
Lorsque les délibérations sont des avis préalables à la prise d’une décision préfectorale (comme en matière d’EnR), un second filtre se met en place :