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Les dispositions de l’article L. 411-2, 4° du code de l’environnement prévoient que l’autorité administrative compétente peut délivrer une dérogation à l’interdiction de destruction, de capture ou d’enlèvement, de perturbation intentionnelle des espèces protégées ainsi que de destruction, d’altération ou de dégradation de leurs habitats, dérogation que sollicitent, au besoin, les porteurs de projets. En amont, il apparaît nécessaire de réaliser une analyse en deux temps afin de déterminer si une demande de dérogation « espèces protégées » doit être sollicitée (I.) avant, le cas échéant, de vérifier si les trois conditions relatives à la délivrance d’une telle dérogation sont remplies (II.).

I. Les conditions présidant à l’obligation de solliciter une dérogation « espèces protégées »

Une obligation conditionnée par l’existence d’un risque suffisamment caractérisé

Dans son avis rendu le 9 décembre 2022 (CE, avis, Association Sud–Artois pour la protection de l’environnement et autres, n° 463563), le Conseil d’Etat a identifié les conditions permettant de déterminer si l’obtention d’une dérogation est nécessaire pour la réalisation d’un projet.

Le pétitionnaire doit ainsi obtenir une dérogation « espèces protégées » :

lorsqu’au moins un des spécimens de l’espèce concernée est présent dans la zone du projet.

A ce stade, l’applicabilité du régime de protection ne dépend ni du nombre de spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées ;

lorsque le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est « suffisamment caractérisé ».

Une dérogation ne saurait être exigée lorsque les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il n’apparaisse pas comme « suffisamment caractérisé ». Il ne saurait à cet égard être demandé qu’un « niveau négligeable » de risque soit atteint (CE, 6 décembre 2023, n° 466696).

Une approche casuistique de la notion de risque suffisamment caractérisé 

Le juge administratif apprécie in concreto les garanties d’effectivité des mesures proposées par le pétitionnaire.

Par exemple, un projet éolien présentant des impacts faibles à modérés n’engendre pas de risque suffisamment caractérisé de perte d’habitat et de mortalité par collision de l’avifaune protégée, compte tenu de l’efficacité des mesures d’évitement et de réduction proposées – travaux hors période de nidification, implantation parallèle à l’axe de migration et à plus de 200 m des étangs, entretien du sol et des couverts végétaux au pied des éoliennes (CAA Bordeaux, 4 mai 2023, n° 20BX04268).

A contrario, un risque suffisamment caractérisé a pu être retenu alors même que l’étude d’impact qualifiait de modéré à faible le risque de destruction des gîtes et d’habitats de chasse, et de faible à non significatif le risque de destruction de chiroptères.

Ici, malgré les mesures prévues par le pétitionnaire – suivi de chantier, limitation des destructions de haies et boisements, suppression de l’éclairage nocturne, gestion adaptée des abords des éoliennes, fermeture des interstices des nacelles, bridage –, il a été jugé qu’une demande de dérogation était nécessaire dès lors qu’une éolienne serait située à moins de 50 mètres des lisières (CAA Bordeaux, 16 mai 2023, n° 20BX01611).

 II. Les conditions strictes de délivrance de la dérogation « espèces protégées »

Tentative de standardisation du critère de la RIIPM

A supposer qu’une dérogation soit nécessaire, l’autorité compétente ne peut la délivrer que lorsque trois conditions distinctes et cumulatives sont réunies :

• il n’existe pas de solution alternative satisfaisante ;

la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations d’espèces dans leur aire de répartition naturelle.

le projet répond, par sa nature et compte tenu de ses intérêts économiques et sociaux, à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).

A ce titre, l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie (créé par l’art. 19 de la loi APER) dispose que les projets d’installations de production d’énergies renouvelables sont réputés répondre à une RIIPM, dès lors qu'ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Deux projets de décrets fixent les conditions pour bénéficier d’une telle présomption (cf. Bulletin relatif aux projets de décrets instaurant une présomption de RIIMP).

L’appréciation jurisprudentielle des autres critères

S’agissant, en particulier, de l’absence de solution alternative, le pétitionnaire doit démontrer qu’elle est avérée à l’intérieur du département voire à un niveau régional, compte tenu des différentes contraintes – militaires, paysagères, zonages naturels, éloignement des habitats, zone forestière, aviation civile (CAA Bordeaux, 17 novembre 2020, n° 19BX02284).

Quant à l’appréciation de la condition relative au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, elle s’effectue en deux temps :

• dans un premier temps, l’autorité compétente est tenue de déterminer l’état de conservation des populations et espèces concernées ;

• dans un deuxième temps, elle détermine les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci (CE, 28 déc. 2022, Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales et autre, n° 449658).

Quelques précisions

Dans l’hypothèse où le juge administratif estime qu’elle aurait dû être sollicitée, l’absence de dérogation « espèce protégées » n’emporte pas l’annulation sèche de l’autorisation environnementale, qui peut être régularisée conformément aux dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement.

Une telle régularisation n’est possible qu’après que le juge a constaté que les autres moyens ne sont pas fondés.

Le cas échéant, afin de régulariser le vice tiré de l’absence de dérogation « espèces protégées », le juge invite les parties à présenter leurs observations et ordonne au pétitionnaire, dans un délai qu’il fixe, de lui notifier une autorisation modificative comprenant ladite dérogation (CE, 20 juillet 2023, Sté Engie Green Tilly, n° 466162).

Abréviations

CAA : cour administrative d’appel

Loi APER : loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables

PPE : programmation pluriannuelle de l’énergie fixée par décret

RIIPM : raison impérative d’intérêt public majeur

ZNI : zones non-interconnectées (Corse, Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna)

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