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Cet avis rendu par la Section du contentieux souligne l'importance d'équilibrer les rôles respectifs, d’abord de l’administration, chargée d’instruire les demandes d’autorisation d’urbanisme et de s’assurer de leur légalité, ensuite du demandeur, responsable de la conformité de son projet aux règles d’urbanisme. Bien que l’on puisse regretter sa position à plusieurs égards, la Haute juridiction estime ainsi que l'administration n’a jamais l’obligation d'accorder une autorisation avec des prescriptions spéciales (I.), tout en rappelant qu’il incombe aux pétitionnaires de veiller à la conformité de leur projet aux règles d'urbanisme, l'administration demeurant libre de choisir d'imposer ou non ces prescriptions (II.).

I. L’administration n’a pas l’obligation d’émettre des prescriptions spéciales pour régulariser un projet non-conforme aux règles d’urbanisme

Contexte jurisprudentiel de la question posée

Pour rappel, le Conseil d’Etat avait jugé dans la décision « Deville »  que l’administration avait l’obligation de vérifier, avant d’opposer un refus, si des prescriptions pouvaient permettre d’assurer la conformité du projet aux impératifs de sécurité ou de salubrité publique exprimés par l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.

Dans le cadre d’une procédure de demande d’avis contentieux fondée sur l’article  L. 113-1  du code de justice administrative, le TA de Toulon a sollicité du Conseil d’Etat qu’il détermine si la jurisprudence

« Deville » devait s’appliquer à l’ensemble des règles d’urbanisme, et pas uniquement à l’article R.111-2 du code de l’urbanisme.

La question posée revenait donc à savoir dans quelle mesure il pouvait appartenir à l’administration de corriger elle-même un dossier de demande d’autorisation, à la place du pétitionnaire.

Le refus de généraliser la jurisprudence « Deville » à toutes les règles d’urbanisme

Alors qu’une solution contraire était attendue par la plupart des acteurs, le Conseil d’Etat écarte la reconnaissance d’une obligation, pour l’autorité instructrice, de régulariser la demande en cours d’instruction.

En effet, il considère « qu’il revient à l’autorité administrative compétente en matière d’autorisations d’urbanisme de s’assurer de la conformité des projets qui lui sont soumis aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L. 421-6 et de n’autoriser, sous le contrôle du juge, que des projets conformes à ces dispositions ».

Par ailleurs, il ne découle d’aucune législation que l’autorité compétente soit tenue d’une obligation de « régularisation précontentieuse » d’un projet par l’effet de prescriptions. Le Conseil d’État a donc fait le choix de ne pas généraliser la jurisprudence « Deville » à toutes les règles d’urbanisme. Il opère même un revirement en revenant sur la permission qui résultait de cet arrêt (relative à l’article R. 111-2).

II. La responsabilité d’assurer la conformité d’un projet aux règles d’urbanisme pèse sur le demandeur et non sur la collectivité

La liberté de l’administration de définir des prescriptions spéciales

L’autorité compétente conserve la possibilité d’accorder l’autorisation d’urbanisme sollicitée tout en l’assortissant de prescriptions particulières.

Il ne s’agit toutefois que d’une faculté.

Dans l’hypothèse où elle refuserait une demande sans avoir prescrit les mesures qui auraient été de nature à la régulariser, le pétitionnaire ne saurait utilement contester pour ce motif le refus devant le juge : son recours serait voué au rejet sur ce moyen.

Dans l’hypothèse où elle décide d’en prononcer, ces

« prescriptions doivent se limiter à des ajustements ponctuels et spécifiques, sans nécessiter la présentation d’un nouveau projet, [afin] d'assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect », conformément à une jurisprudence établie3. Le pétitionnaire peut les contester, mais le juge doit s'assurer que leur annulation n'est pas susceptible de remettre en cause la légalité de l'autorisation d'urbanisme et qu'ainsi, ces prescriptions ne forment pas avec elle un ensemble indivisible4.

L’aptitude du pétitionnaire à modifier son projet en cours d’instruction

Pour équilibrer l’absence d’obligation imposée à l’administration, le Conseil d’Etat rappelle que le pétitionnaire peut régulariser son projet en cours d’instruction en application de la jurisprudence « Commune de Gorbio5  ».

Cette faculté est conditionnée par l’obligation de ne pas changer la nature du projet, faute de quoi, si les modifications apportées au projet étaient trop importantes, elles pourraient en modifier la nature et nécessiter le dépôt d’une nouvelle demande (faisant donc courir de nouveaux délais).

Outre l’objet et l’importance des modifications, le pétitionnaire devra également tenir compte de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen devant pouvoir être mené à bien dans le délai d'instruction restant.

On comprend donc de ce renvoi à l’arrêt « Commune de Gorbio » que le Conseil d’Etat entend faire porter sur le seul pétitionnaire, la charge d’élaborer un dossier exempt de toute irrégularité, sans obligation pour les services instructeurs de prévoir des prescriptions régularisatrices, au risque de permettre des refus fondés sur des irrégularités mineures.

Quelques précisions

A partir du moment où l’administration n’est pas tenue de délivrer une autorisation avec prescriptions spéciales et que le pétitionnaire ne peut plus invoquer cette carence devant le juge, il lui revient de présenter dès l’origine, un projet conforme aux règles d’urbanisme.

Un accompagnement professionnel, fondé sur une méthodologie rigoureuse d’audit du permis de construire, constitue un outil stratégique d’anticipation et de sécurisation juridique, afin de réduire au maximum le risque de refus (notamment pour des irrégularités mineures).

Le cabinet a aussi participé à la rédaction d’amendements poursuivant un objectif de rationalisation du contentieux des refus de permis de construire pour des motifs véniels à la suite de cet avis contentieux.

Jurisprudence

1 CE, 25 juin 2019, Deville, n° 412429, Rec. Leb

2 Le fichage de l’avis commenté indique en effet : « Ab. jur., faisant obligation à l'administration de rechercher s'il est possible d'autoriser, en l'assortissant de prescriptions complémentaires, un projet de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, CE, 26 juin 2019, n° 412429, p. 245 ».

3 CE, 3 juin 2020 Société Compagnie Immobilière Méditerranée, n° 427781.

4 CE, 13 mars 2015, Mme A., n° 359677, Rec. Leb.

5 CE, 1er décembre 2023, Cne de Gorbio, n° 448905, Rec. Leb.

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