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Nouvel abus de droit à motivation principalement fiscale : une arme létale entre les mains de l’administration ?

L’article 109 de la loi de finances pour 2019 a créé à l’article L.64 A du LPF un nouvel abus de droit, dans la branche de la fraude à la loi. Désormais, l’administration est en droit d’écarter « les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales » que l’intéressé aurait normalement supportées.

Si les praticiens du patrimoine ont largement fait part de leurs inquiétudes à la suite de son adoption, celles-ci sont raisonnablement à nuancer.

UN NOUVEAU DISPOSITIF A LA CONSTITUTIONNALITÉ NON ÉTABLIE

Un dispositif dont la constitutionnalité n’a pas été établie

La saisine du Conseil constitutionnel, afin de vérifier la constitutionnalité de certains articles de la loi de finances 2019, a été réalisée préalablement à la promulgation de la loi.

Pour autant, les députés et sénateurs n’ont pas déféré aux Sages, l’article 109 relatif au nouvel abus de droit.

Pas plus que le Conseil constitutionnel n’a, dans sa décision du 28 décembre, soulevé d’office une question de conformité à la Constitution.

La constitutionnalité de cet article n’a donc pas été validée par le Conseil constitutionnel.

Il sera possible, par le biais d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (« QPC ») au cours d’un contentieux fiscal, de saisir les Sages relativement à cette question.

Compte tenu du délai d’application du nouvel article L.64 A du LPF (cf. premier paragraphe dans la marge à droite), cette saisine ne pourra se faire avant 2021.

Un dispositif semblable précédemment censuré par le Conseil constitutionnel

L’article 100 de la loi de finances pour 2014 qui prévoyait de modifier l’article L.64 en substituant le motif exclusivement fiscal par un motif principalement fiscal avait été censuré par le Conseil constitutionnel. 

Les Sages avaient considéré que la rédaction de cet article et ses conséquences pécuniaires (majoration pour abus de droit de 40 % ou 80 % applicables), donnait une importante marge d’appréciation à l’administration et partant, contrevenait au principe de légalité des délits et des peines.

Le nouvel article L.64 A du LPF, qui vient en complément du dispositif de l’article L.64 (motif exclusivement fiscal) - et non pas en substitution - écarte l’application des majorations pour abus de droit mais pas des majorations de droit commun pour manquement délibéré (40%) ou pour manœuvres frauduleuses  (80%) !

La rédaction du nouvel article, laissant la même marge d’appréciation à l’administration et n’interdisant pas l’application de lourdes majorations n’est donc pas assurée d’échapper à la censure du Conseil constitutionnel.

UN NOUVEAU DISPOSITIF SOURCE D’INSÉCURITÉ JURIDIQUE ?

Les dispositifs fiscaux incitatifs à l’abri du champ d’application du nouveau dispositif

Les régimes fiscaux dits incitatifs sont expressément prévus et encadrés par le législateur (ex.: réductions d’impôt Malraux, Pinel, régime des monuments historiques, pacte Dutreil).

L’administration fiscale ne pourra reprocher à un contribuable de réaliser un acte à but principalement fiscal en y recourant puisque l’objectif du législateur est précisément d’octroyer un avantage fiscal en contrepartie du respect des règles propres à chaque régime.

La nécessité de sécuriser certaines opérations patrimoniales en amont

Le juge national a très tôt admis que le choix de la solution fiscalement la plus favorable ne constitue pas, par lui-même, un abus de droit (CE 16 juin 1976 n°95513), tout comme le juge communautaire (CJCE 21 avril 2006 n°C255/02) et même…l’administration fiscale dans une doctrine datée de 2002.

Ce principe paraît solidement ancré, néanmoins la loi changeant, la doctrine fiscale et la jurisprudence en tiendront compte.

Toute organisation et optimisation patrimoniale devra être réalisée avec d’autant plus de précaution et d’expertise.

Quand le nouvel abus de droit pourra-t-il être appliqué ? 

Il sera applicable aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes réalisés à compter du 1er janvier 2020.

Si le législateur n’a pas précisé la raison de ce différé, il démontre malgré lui qu’un temps de latence est nécessaire pour l’assimilation du nouveau dispositif dont la portée devra être circonscrite par la doctrine administrative.

Communiqué de Bercy du 19 janvier 2019

Pour éteindre l’incendie provoqué par le nouveau dispositif, Bercy s’est fendu d’un communiqué précisant que les opérations de donation avec réserve d’usufruit n’étaient pas remises en cause par le nouveau dispositif sous réserve qu’elles ne soient pas fictives.

Pour rappel, les communiqués de presse ne sont pas opposables sur le fondement de l’article L.80 A du LPF, la position exprimée devra donc être confirmée par la doctrine administrative.

Suppression du renversement de la charge de la preuve en cas d’avis défavorable du comité de l’abus de droit fiscal 

Depuis le 1er janvier 2019, la charge de la preuve incombe à l’administration fiscale  devant le juge de l’impôt, quelque soit le sens de l’avis rendu par le comité (article L 192 du LPF).

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