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Retour sur deux ans d’évolution des procédures d’études d’impact qui renouvellent le logiciel de gestion des enjeux environnementaux dans les projets immobiliers et qui contraignent le porteur de projet à intégrer systématiquement cette problématique désormais incontournable dans l’élaboration d’une opération immobilière. Deux conseils : anticiper la nécessité de réaliser une évaluation environnementale (I.) et rester vigilant quant aux enjeux environnementaux lorsqu’il s’agit d’adapter un projet (II.).


I. ANTICIPER LA NÉCESSITÉ DE RÉALISER UNE ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE

Un flou juridique depuis l’annulation des seuils…

La nomenclature annexée à l’article R. 122-2 C. env. dresse la liste des projets soumis à étude d’impact « au cas par cas » et de ceux y sont automatiquement assujettis, en fonction de seuils qui se rapportent principalement à la dimension des projets.

A ce titre, le seuil de création de 10 000 m2 de surface de plancher permettait de déclencher la réalisation d’une étude au cas par cas, et celui de 40 000 m2 d’emprise au sol rendait obligatoire l’évaluation environnementale du projet hors zones urbanisées1. 

Le Conseil d’État a toutefois jugé que cette nomenclature ne permettait pas de garantir que tous les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine fassent l’objet d’une évaluation environnementale (CE, 15 avril 2021, n° 425424 – cf. notre bulletin). 

Sommé de mettre en conformité, dans un délai de 9 mois, les critères de sélection des projets soumis à évaluation environnementale avec ceux de l’annexe III de la directive  « Projets » du 13 décembre 2011 (à savoir leurs dimensions, certes, mais également leur nature, leur localisation, la sensibilité environnementale des zones géographiques possiblement affectées et leurs impacts), le ministère de la transition écologique entend soumettre un projet de décret au CNTE le15 décembre 2021.

… que ne semble pas dissiper le décret annoncé

Il ressort des termes du projet de décret qu’une « clause-filet » serait introduite : les projets situés en deçà des seuils mais qui apparaissent susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement seraient soumis à un examen au cas par cas par l’autorité compétente 2 (art. R. 122-2-1 C. env.).

Une telle formulation n’est pas de nature à lever toutes les incertitudes et il nous semble que les risques suivants demeurent :

  • refus de permis de construire, en raison de l’incomplétude du dossier, dès lors que le code de l’urbanisme impose que soit jointe l’étude d’impact ou la décision dispensant d’évaluation environnementale (art. R. 431-16 C. urb.) ;
  • « référé-étude d’impact » permettant d’obtenir une suspension de l’autorisation délivrée en cas, soit d’absence de saisine de l’autorité environnementale pour une étude au cas par cas, soit d’absence d’étude d’impact alors que celle-ci était nécessaire, sans que les autres critères du référé (urgence/doute sérieux quant à la légalité) ne doivent être remplis (art. L. 122-2 C. env.).


Contre-mesure : le plus prudent est encore de faire évaluer par un bureau d’études les enjeux environnementaux des terrains sur lesquels des opérations sont projetées, afin de se ménager la preuve de l’absence de nécessité de déposer une demande d’étude d’impact au cas par cas.

II. MESURER LES MARGES D’ÉVOLUTION D’UN PROJET SUSCEPTIBLE D’ÊTRE SOUMIS À ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE

Modifier un projet

Le Conseil d’État a pu indiquer la marche à suivre dans l’hypothèse où un projet n’est pas soumis à évaluation environnementale mais le devient à la suite d’une modification notable de ses caractéristiques (CE, 20 octobre 2020 n° 433404, cf. notre bulletin). 

En l’espèce, un projet d’aménagement d’un complexe sportif avait fait l’objet d’une dispense d’évaluation environnementale. Ce projet avait ensuite été significativement étendu (de 4,4 à 10,2 ha). Or, un décret du 4 juin 2018 avait entretemps soumis à étude d’impact systématique les opérations d’aménagement portant sur un terrain d’assiette supérieur ou égal à 10 000 m2. Le projet concerné, pris dans sa totalité, entrait donc, en raison de son extension, dans le champ de cette obligation.

Ce faisant, et en vertu du principe d’application immédiate des règles de procédure, le pétitionnaire ne pouvait se prévaloir d’un quelconque droit acquis de la dispense d’étude d’impact qui prévalait dans le cadre du projet initial. Il était désormais tenu de réaliser une telle étude.

La plus grande prudence doit donc être de mise, et ce d’autant plus depuis l’annulation des seuils (cf. supra). 

« Phaser », mais avec précaution

Par principe, l’ensemble des effets d’un projet sur l’environnement doit être étudié le plus en amont possible. 

En conséquence, il ressort de la jurisprudence européenne que le phasage d’une opération ne saurait avoir pour effet de se soustraire aux obligations en matière d’évaluation environnementale. Cette manœuvre a pu être observée, notamment lorsque les seuils étaient encore en vigueur, pour des opérations dont chaque phase avoisinait 10 000 m2.

Le Conseil d’État rappelle toutefois qu’il convient de « rechercher s’il existe des liens de nature à caractériser le fractionnement d’un projet unique » (CE, 1er février 2021, n° 429790) .

Même s’il semble ressortir de cette décision qu’une deuxième phase hypothétique, ou l’expiration d’un délai particulièrement long séparant deux phases pourraient faire obstacle à la qualification de « projet unique » nécessitant la réalisation d’une évaluation environnementale globale, la vigilance reste de mise. 

Quelques précisions

  1. Le décret n° 2020-1169 du 24 septembre 2020 avait recentré l’évaluation environnementale sur la lutte contre l’artificialisation des sols en limitant l’étude systématique aux projets de plus de 40 000 m2 situés dans un espace non artificialisé, et non plus quelle que soit la nature du lieu d’implantation.
  2. Extrait de la note de présentation transmise par le MTE au CNTE le 15 décembre 2021 : « Un tel dispositif a vocation à n’être soulevé qu’exceptionnellement pour 'rattraper' d’éventuels projets situés en deçà des seuils (…) et susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement notamment en raison de leur localisation ».

Explications de la jurisprudence européenne portant sur le « saucissonnage » des études d’impact : 
« [La CJUE] juge ainsi avec constance que l’objectif de la directive – qui est que les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une évaluation en ce qui concerne leur incidence – ne saurait être détourné par le fractionnement d’un projet, l’absence de prise en considération de l’effet cumulatif de plusieurs projets ne devant pas avoir pour résultat pratique de les soustraire dans leur totalité à l’obligation d’évaluation alors que, pris ensemble, ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement », Concl. Odinet sous CE, 28 novembre 2018, Cne de Turballe, n° 419315.

Caractère suffisant des études d’impact et solutions alternatives
Le juge administratif contrôle le caractère satisfaisant des études d’impact au regard de l’article R. 122-5 C. env. qui dresse la liste des pièces devant y être jointes et précise ce qu’elles doivent contenir ; il censure les études insuffisantes de ce point de vue. Parmi ces pièces, se trouvent la description des solutions de substitution raisonnables examinées par le maître d’ouvrage et les raisons pour lesquelles le projet a été retenu.

Dans un arrêt inédit récent, le Conseil d’État a rappelé que l’étude d’impact pouvait s’abstenir de présenter une solution alternative lorsque sa mise en œuvre n’a pas été réellement envisagée par le maître d’ouvrage dans la mesure où elle a été écartée en amont.

C’était le cas en l’espèce, s’agissant de l’implantation d’une centrale à cycle combiné gaz, dont l’aire d’implantation avait été entérinée par le pacte électrique de la région. Aucune autre localisation à l’extérieur de cette aire ne devait donc être envisagée (CE, 15 novembre 2021, n° 432819).

Abréviations

C. env. : code de l’environnement
C. urb. : code de l‘urbanisme
CNTE : conseil national de la transition écologique

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