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Par une décision n° 448905 du 1er décembre 2023, Commune de Gorbio, publiée au Recueil, le Conseil d’Etat officialise la pratique de la « substitution de pièces » en cours d’instruction d’une autorisation d’urbanisme, tout en apportant de précieuses précisions quant à l’incidence d’une telle faculté sur le délai d’instruction de la demande initiale.

I. La pratique de la substitution de pièces en cours d'instruction enfin officialisée par le CE

Principe : absence d’incidence sur le délai d’instruction initial

Comme le rappelle le Conseil l’Etat, le code de l’urbanisme ne prévoit pas expressément que les pétitionnaires puissent spontanément déposer des pièces ou informations complémentaires, en cours d’instruction, après le délai de trois mois imparti pour procéder au dépôt des pièces complémentaires exigées par l’administration.

Une telle faculté était néanmoins de longue date admise par la pratique et la jurisprudence administrative. Il avait en effet déjà été jugé que la modification mineure du projet en cours d’instruction ne donnait pas lieu au déclenchement d'un nouveau délai d'instruction (cf. par ex : TA de Paris, 7 octobre 2010, n° 0814892,  et CAA de Versailles, 28 janvier 2022, n° 20VE01270).

Si le Conseil d’Etat ne fait que confirmer la position de divers juges du fond, cette décision a le mérite de clarifier le cadre juridique applicable en pareille hypothèse ; et de réaffirmer le droit des pétitionnaires de faire évoluer leur projet en cours d’instruction en produisant spontanément de nouvelles pièces, sans suspendre ni proroger le délai d’instruction initial.

Exception: naissance d’un nouveau délai d’instruction

La Haute juridiction pose ensuite les critères permettant de déterminer le point de bascule entre la substitution de pièces et la modification du projet devant s’analyser comme une nouvelle demande de nature à faire naître un nouveau délai d’instruction.

Ainsi, il revient à l’administration d’analyser l’objet des modifications, leur importance et la date à laquelle elles sont présentées afin de déterminer si elle est en mesure de mener à bien l’examen de la demande dans le délai initial, ou si le délai doit être « réinitialisé ».

De la même manière, un bouleversement de la nature du projet s’analysera, semble-t-il, comme une demande nouvelle justifiant un nouveau délai d’instruction.

Les juges du Palais-Royal précisent enfin que, dans une telle hypothèse, l’administration doit informer le pétitionnaire par tout moyen, et impérativement avant le terme du délai d’instruction initialement indiqué, qu’un nouveau délai lui est opposé2.

II. Substitution de pièces et chausse-trappes... Vigilance au moment du dépôt des pièces !

Mieux vaut ne pas subir

En officialisant la pratique de la substitution de pièces, le juge administratif responsabilise les porteurs de projet qui devront procéder à une analyse fine de la nature des pièces à déposer, de la temporalité du dépôt (en évitant d’utiliser la substitution de pièce postérieurement aux avis rendus par les services, notamment le SDIS) mais également des rapports entretenus avec la collectivité et de la charge de travail du service urbanisme concerné.

Sans de telles précautions, les pétitionnaires s’exposeront au risque de se voir opposer un nouveau délai d’instruction susceptible, le cas échéant, de retarder l’exécution du projet avec les incidences qui en découlent (perte des droits sur le terrain en cas de promesse unilatérale de vente conclue sous condition suspensive d’obtention d’un PC notamment), voire de sortir du bénéfice de l’effet protecteur d’un certificat d’urbanisme.

Des réinitialisations de délai difficilement contestables

Le Conseil d’Etat laisse aux services instructeurs la compétence pour apprécier l’objet, l’importance ou la date des pièces substituées qui relèveraient d’une nouvelle demande.

Les faits de l’espèce n’ont cependant pas amené le Conseil d’Etat à préciser si le courrier du service instructeur notifiant le nouveau délai d’instruction – à la suite d’une substitution de pièce – est un acte faisant grief susceptible d’un recours pour excès de pouvoir.

La jurisprudence récente du Conseil d’Etat en matière de courrier de prolongation d’instruction (non conforme au code de l’urbanisme) précise cependant qu’ils sont insusceptibles de recours (cf. CE, 24 octobre 2023, n°462511: une lettre majorant le délai d'instruction d'une demande d'autorisation d'urbanisme n'est pas une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir). Tout laisse à penser qu’il en sera de même pour les courriers de notification d’un nouveau délai légal d’instruction, lesquels pourront être, même entachés d’illégalité, particulièrement difficiles à contester.

2Bien que cela ne soit pas expressément précisé par le CE, le nouveau délai d’instruction notifié par l’administration, au motif que les pièces substituées s’analysent comme une nouvelle demande, devrait être l’un des délais légaux prévus par le code d’urbanisme (art. R. 423-23 c. urb. et suiv.).

Pour rappel, le CE a récemment (cf. CE, 24 octobre 2023, n°462511, Rec. Leb.) étendu sa jurisprudence  « Commune de Saint Herblain » (CE, 9 décembre 2022, n° 454521, Rec. Leb.) aux majorations de délais d’instruction. Ainsi, une modification du délai d’instruction, bien que notifiée dans le délai d’un mois prévu à l’article R. 423-18 du code de l’urbanisme, qui ne serait pas motivée par l’une des hypothèses de majoration prévues aux articles R. 423-24 à R. 423-33 du même code, n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable et ne fait pas obstacle, par voie de conséquence, à l’obtention tacite d’une telle autorisation.

Point de vigilance: Le nouveau délai d’instruction n’est opposable que s’il est notifié dans le mois suivant la réception des pièces substitués : « 3. Si la production spontanée de pièces par le pétitionnaire, notamment lorsqu'elles modifient substantiellement la consistance du projet, peut faire obstacle à la naissance d'un permis tacite à l'issue du délai d'instruction, il incombe néanmoins dans cette hypothèse à l'administration, sauf circonstances très particulières, telle la reconnaissance expresse de l'existence d'un nouveau délai d'instruction par le pétitionnaire lui-même, d'informer ce dernier du nouveau délai d'instruction dans un délai d'un mois à compter de la réception des pièces complémentaires » (cf. TA Montreuil, 11 mars 2020, n° 1901122)

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